Le calendrier romain

  • 6 minutes de lecture
  • Publié le

Après l’un des plus célèbres fratricides fut fondée la ville de Rome le 21 avril 753 av. J.-C.

Sauf que… c’est une légende. Désolé. Mais ! Ça reste important car le calendrier romain, grand-père de notre calendrier moderne, s’appuie dessus : cette date donna l’an zéro du premier calendrier de Rome. Du premier, oui, car avant de changer radicalement avec Jules César, plusieurs calendriers se sont succédés, évoluant progressivement le premier d’entre eux.

Le premier calendrier

D’après la légende, c’est Romulus, premier roi de Rome, qui conceva son calendrier. Il était constitué de dix mois de 30 (pour six d’entre eux) et 31 (pour les autres) jours, ce qui fait un total de… 304 jours. Et le reste, me diriez-vous ? Oh, les romains ne s’embêtaient pas avec ce genre de détails : ils arrêtaient de compter les semaines et les mois pendant l’hiver, attendant les premières lueurs du printemps pour recommencer un cycle.

Pourquoi 304 jours ?

C’est une excellente question. La non-excellente réponse, c’est qu’on… ne sait pas, au delà du fait que 304 = 38 × 8 jours, durée que l’on appelle la “semaine romaine”. Donc ça tombe juste, mais ce n’est pas vraiment très satisfaisant ni complet comme justification :-° .

Macrobe parle de cette particularité dans ses Saturnales

Telle fut la division de l’année établie par Romulus, laquelle, comme nous l’avons déjà dit, était de dix mois, et de trois cent quatre jours; six mois étant de trente jours, et quatre de trente-un. Mais comme cette division n’était d’accord ni avec le cours du soleil, ni avec les phases de la lune, il arrivait souvent que les froids survenaient durant les mois de l’été, et les chaleurs, au contraire, durant les mois de l’hiver.

Quand cela arrivait, on cessait de compter les mois, et on laissait s’écouler les jours, en attendant d’être arrivé à cette époque de l’année où le mois dans lequel on se trouvait devait coïncider avec l’état du ciel.

Macrobe, Saturnales (1, 12)

Car oui, à cette époque, l’année commençait en Mars (Martius, nommé en l’honneur du dieu éponyme). Auquel suivaient :

  • Aprilis (avril, pour Aphrodite, de 30 jours) ;
  • Maius (mai, pour Maia, déesse romaine) ;
  • Iunius (juin, pour Junon ; 30 jours) ;
  • Quintilis (juillet, cinquième mois) ;
  • Sextilis (août, sixième mois, 30 jours) ;
  • September (septembre, septième mois, 30 jours) ;
  • October (octobre, huitième mois) ;
  • November (novembre, neuvième ; 30 jours) ; et finalement
  • December (décembre, dixième ; 30 jours).

(Je ne veux pas juger, mais on note tout de même une perte d’inspiration sur la fin)

C’est d’ailleurs de là que viennent encore aujourd’hui les noms des derniers mois de l’année : si aujourd’hui il semble bizarre que le neuvième mois soit Septembre (on y entend tellement ce sept !), c’est qu’à l’époque, c’était bel et bien le septième mois — et de même pour les suivants.

Numa vient mettre son grain de sel

Ces mois manquants pendant lesquels on attend le printemps, ça va bien cinq minutes mais ce n’est tout de même pas bien propre. Numa Pompilius (715–673 av. J.-C.), second roi légendaire de Rome, aurait donc réformé tout ça afin d’ajouter deux nouveaux mois à la fin. Malgré toute la volonté du monde, on se rendait bien compte que 304 jours, c’est court, par rapport à une année…

Et alors là préparez-vous, car ce Numa (ou qui que ce fut en réalité) avait des idées très, mais alors très, tordues pour son calendrier. Il manquait des jours ? D’accord.

  1. Ajoutons cinquante jours à l’année. Jusque là, soit.
  2. Ensuite, enlevons six jours des six mois de trente jours afin de les ajouter à ces cinquante jours, de quoi en faire cinquante-six.
  3. Distribuons ces cinquante-six jours en deux mois égaux de 28 jours : Januarius (en l’honneur de Janus) et Februarius (pour Frodon Febro), qui sont ajoutés à la fin de l’année1.
  4. Mais halte là ! Enfer et damnation : il y a désormais un nombre PAIR de jours dans l’année ! Les romains aimaient beaucoup les nombres impairs2, ils ont donc… ajouté au calme un jour de plus afin qu’il y ait 355 jours dans l’année. Ils ont également redistribué le nombre de jours de chaque mois afin qu’il n’y ait plus de mois avec un nombre pair de jours (sauf février qui reste à 28). Des fous, je vous dit — on dirait moi.

Mais attendez, ça ne s’arrête absolument pas là ! En effet, on est à 355 jours, mais dans la vraie vie, il en faut 3653 (même s’ils ne le savaient pas bien à cette époque). L’année continuait de se décaler, même si moins drastiquement qu’avant. Ils ajoutaient donc de temps en temps (tous les quatre ans) un mois supplémentaire de vingt-neuf jours : le Mensis intercalaris. Mais ce n’est toujours pas parfait, donc il faut de temps en temps ajouter des jours en plus.

On peut les voir comme l’ancètre de nos 29 févriers, mais c’est en réalité bien plus bordélique car géré suivant la volonté de grand pontifes. Et un grand pontif, ça n’a pas comme intérêt principal la stabilité du calendrier, mais plutôt l’influence politique (en ajoutant des jours pour prolonger un règne), ou religieuse… Oui, ils modifiaient tranquillement le calendrier pour des raisons de pouvoir. Petits filous !

La République affine

Afin d’avoir un calendrier plus précis, vers 450 avant J.-C. (début de la République), les durées des mois sont re-changées : le mois supplémentaire ajouté tous les quatre ans est renommé Mercedonius et raboté de deux jours, mais lors qu’il est là, février ne compte plus que 23 ou 24 jours (alternativement), afin d’ajouter 90 jours tous les huit ans au calendrier régulier, ce qui correspond au manque estimé.

Et là encore, le Collège des Pontifs était en droit de modifier la longueur de ce mois en plus et de décider quand il avait lieu, officiellement pour ajuster l’année en fonction des besoins. Officiellement : dans les faits, les abus étaient les mêmes qu’auparavant (pourquoi se priver ?).

Cicéron, une fois, le leur demanda [d’oublier le mois intercalaire] comme chose toute naturelle, afin de raccourcir son séjour en Cilicie, qui lui pesait.

Mommsen, Histoire romaine, livre V, chapitre XI, note 1 (à prendre avec des pincettes car non sourcé par l’auteur).

Que vaut ce calendrier ?

Tous calculs faits, et sans compter les manipulations politiques, une année sous le calendrier romain dure 366,25 jours, soit un de trop chaque année, en moyenne. Mais en prenant en compte les petites manipulations politiques, en 46 avant J.-C., il manquait trois mois ! Un certain J.-C., justement, décida alors d’y mettre de l’ordre…


  1. En réalité, l’histoire est assez floue quant à la position de Janvier et Février sous le reigne de Numa. A priori, ils ont été ajoutés dans cet ordre après le mois de décembre (c’est notamment ce que disent Macrobe et Plutarque), mais les thèses divergent beaucoup. On pense que Janvier était le premier mois à cause de sa signification : Janus est le dieu aux deux visages des commencements et des fins, des choix, du passage et des portes — ce qui fait relativement sens avec le passage d’une année sur l’autre, l’un des visages regardant l’année passée et l’autre, la future. Mais tout cela n’est que spéculation, et cette dernière théorie reste contestée. Nous sommes dans le flou et la brûme…
  2. Quelle idée, quand on connaît la grâce et la beauté des nombres pairs… (Bon, d’accord, pas tous)
  3. 365,2425, certes — mais vue la précision de ce calendrier, on n’est vraiment pas à ça près.